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Le GNL dans la croisière : une fausse bonne idée ? [ABO]

La chronique de Fanny Pointet, responsable du transport maritime pour T&E France


Peut-on réellement qualifier le GNL de carburant « vert » ou « plus propre » ? Et surtout, les compagnies de croisière ont-elles raison d'investir dans ce carburant ou existe-t-il déjà des alternatives préférables ? Eléments de réponse avec Fanny Pointet, responsable du transport maritime France pour l'ONG Transport & Environment (T&E France).


Rédigé par Fanny POINTET le Mercredi 12 Mars 2025

Le GNL, malgré son appellation, reste un carburant fossile - DepositPhotos.com, mx9uk
Le GNL, malgré son appellation, reste un carburant fossile - DepositPhotos.com, mx9uk
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En 2019, l’AIDAnova, premier paquebot propulsé au GNL (gaz naturel liquéfié), était mis à l’eau.

Aujourd’hui, environ 30 navires de croisières utilisent ce carburant, et ils seront rejoints par beaucoup d’autres dans les prochaines années : environ 34% des bateaux de croisière commandés ou en construction fonctionneront au GNL.

Cette progression s’explique facilement, car du point de vue de l’industrie, il s’agit d’une technologie intéressante.

En apparence, le GNL présente un bilan climatique attrayant puisqu’il émet en effet moins de CO2 que le fioul lourd, et relâche beaucoup moins de polluants atmosphériques que les carburants classiques.

Certaines compagnies n’ont donc pas hésité à faire la promotion de leurs bateaux propulsés au GNL, parlant d’un « carburant plus propre ». Mais la réalité est bien différente.


Le GNL, un carburant fossile au bénéfice climatique très incertain

Le GNL, malgré son appellation, reste un carburant fossile.

Sa combustion émet des gaz à effet de serre qui accroissent le dérèglement climatique.

Si l’industrie des croisières veut être crédible sur sa promesse de « zéro émission » en 2050, elle doit rapidement abandonner ce carburant.

Au-delà de cet impératif de long terme, de nombreuses études critiquent aussi l’impact climatique à court terme du GNL.

Ce dernier est majoritairement constitué de méthane, un gaz moins connu que le CO2 mais à l’effet climatique très puissant : sur une période de 20 ans, une tonne de méthane relâchée dans l’atmosphère a le même effet que 83 tonnes de CO2. !

Or, à chaque étape de son cycle de vie (extraction, transport, stockage), le GNL est sujet à des fuites de méthane.

En tenant compte de ces fuites, son bilan climatique peut parfois être pire que le fioul lourd. Ce fait est d’ailleurs reconnu par la filière maritime elle-même, dans sa feuille de route de décarbonation parue en 2023.

Le meilleur carburant à date ?

En conséquence, le GNL ne peut pas être présenté comme un carburant qui serait « vert » ou « plus propre ».

A la fin de l’année dernière, une compagnie de croisière qui vantait le GNL dans une campagne publicitaire a dû la stopper, sous la pression des ONG. Même histoire en France avec la compagnie du Ponant.

Au Canada, le régulateur de la publicité a pris une décision similaire à propos d’une campagne lancée par l’industrie fossile.

Faute de pouvoir s’imposer sur le terrain scientifique, le secteur de la croisière utilise un autre argument, que l’on peut résumer de la façon suivante : le GNL serait un carburant « de transition » et n’aurait pas vocation à durer.

En effet, les compagnies maritimes prétendent qu’elles utiliseront à l’avenir du bio-méthane ou du méthane de synthèse.

Une gageure si l’on s’en tient aux productions extrêmement limitées de biométhane durable en Europe et de la forte concurrence d’usage sur le gaz renouvelable.

En 2023, MSC Croisières avait largement communiqué sur l’acquisition de 400 tonnes de biométhane destiné à l’un de ses tous derniers paquebots au GNL. Un volume qui, compte tenu de la consommation énergétique titanesque des bateaux de croisière (environ 112 tonnes de carburant par jour), permettrait de naviguer pendant une période de quelques jours seulement.

Le méthane de synthèse, quant à lui, compte parmi les carburants de synthèse les plus chers à produire et requiert d’importantes ressources en hydrogène et en C02.

Par ailleurs, les fuites de méthane, même réduites, continueront d’exister avec ces deux types de carburants.

Avec l’ensemble de ces contraintes, il est probable que les navires au GNL continuent à utiliser du carburant d’origine fossile tant que la réglementation les y autorise.

Ainsi, faire le choix du GNL aujourd’hui, c’est enfermer les navires de croisière dans cette fausse bonne idée pendant des décennies.

Lire aussi : Croisières : la marche forcée de la décarbonation

Quelles alternatives au GNL?

Les compagnies de croisière ont tout intérêt à investir dans des navires aux moteurs compatibles avec des carburants de synthèse à base d'hydrogène autres que l’e-méthane, tels que l'e-méthanol.

Pour sécuriser leur investissement, ils ont néanmoins besoin d’un signal clair les incitant à passer aux carburants plus vertueux.

L’obligation d’installation et d’utilisation de branchements électriques à quai pour les navires d’ici à 2030, inscrite dans la réglementation européenne, est un bon exemple de ce qui pourrait être fait pour les carburants de synthèse.

Par ailleurs, d’autres mesures pourraient être mises en place pour diminuer la consommation de carburants à bord.

Si l’on observe des innovations prometteuses dans la propulsion vélique pour la croisière de luxe, il existe aussi une manière beaucoup moins onéreuse pour la flotte davantage « grand public » des paquebots de croisière : naviguer plus lentement.

C’est un moyen simple et efficace de réduire non seulement les émissions de gaz à effet de serre - de 13% en moyenne pour une baisse de 10% de la vitesse - mais aussi le risque de collision avec les cétacés et le bruit sous-marin, qui troublent la vie des mammifères marins.

Une mesure à laquelle les passagers venus de tout horizon pour apprécier les paysages de nos littoraux n’auraient pas de raison de s’opposer.

Lire aussi : Environnement : faut-il taxer les croisières ?

Fanny Pointet - Photo : T&E
Fanny Pointet - Photo : T&E
Fanny Pointet a rejoint T&E en juillet 2022 en tant que responsable du transport maritime au sein du bureau français, où elle dirige le programme de travail en étroite collaboration avec l'équipe dédiée au maritime à Bruxelles.

Auparavant, elle travaillait en tant que juriste pour le ministère des armées sur un large éventail de dossiers européens liés aux questions environnementales et énergétiques. Avant cela, elle a travaillé sur la protection de l’environnement marin pour l'industrie pétrolière et gazière. Fanny a une formation en droit international et européen de l'environnement de l'Université d'Aix Marseille.

T&E (Transport & Environment) est l’organisation de référence sur la décarbonation des transports en Europe. Indépendante des partis politiques et du secteur privé, l'organisation publie de nombreux rapports, analyses et recommandations sur les leviers industriels, sociaux et économiques de la décarbonation des transports.

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Tags : croisiere, gnl
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