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Ryanair menace de partir ? Mais qu’elle(s) s'en aille(nt) ! [ABO]

L'humeur de Jean Pinard


Financer avec de l’argent public des routes aériennes qui ne sont pas indispensables au développement du tourisme est contestable, et encore davantage sans marché public, et sans transparence, fustige Jean Pinard, président de la société de conseil Futourism dans cette nouvelle chronique.


Rédigé par le Vendredi 29 Novembre 2024

"Le montant des aides accordées en France à Ryanair est énorme, et permettrait de financer des Pass rails pour tous les jeunes" explique Jean Pinard - DepositPhotos.com, rparys
"Le montant des aides accordées en France à Ryanair est énorme, et permettrait de financer des Pass rails pour tous les jeunes" explique Jean Pinard - DepositPhotos.com, rparys
Donc Ryanair n’aime pas les taxes, et menacerait de quitter une dizaine d’aéroports régionaux dont le trafic est quasi exclusivement lié à ses routes aériennes.

C’est assez cocasse de voir cette compagnie qui a inventé toutes les surtaxes possibles pour ses passagers, qui serait prête à faire payer le droit d’attacher sa ceinture une fois assis dans l’avion, venir pleurnicher quand l’État français, qui lui aussi cherche à se faire un peu d’argent, propose d’augmenter sa taxe dite de solidarité.

Dans les faits, avec l’augmentation de la taxe, un passager au départ de France devra payer 6,90€ de plus pour un vol vers une destination européenne, et 7,50€ supplémentaires s’il s’envole vers une destination dite intermédiaire.

On peut donc légitimement se demander si cela entraînera une baisse de fréquentation.

Ce nouveau coup de bluff de la part d’une compagnie qui a élevé la stratégie du chantage comme seul mode de communication et d’échange avec ses partenaires, a fait resurgir le débat du nombre important d’aéroports dans l’Hexagone, mais surtout leur dépendance aux caprices des compagnies low cost telles que Ryanair.


Départ de Ryanair : comment en est-on arrivé là ?

Sur les 32 aéroports français en activité, Ryanair est présent sur 22 d’entre eux et on peut considérer qu’au moins la moitié de ces 22 aéroports ne survivraient pas au départ de la compagnie low cost.

Mais au fait, comment on en est arrivé là ? On ne peut pas aborder le sujet du nombre très important d’aéroports en France métropolitaine sans relier ce sujet à celui de l’attractivité.

A l’instar d’autres infrastructures, l’aéroport est un équipement totémique dès lors qu’il s’agit d’aborder la question (encore) essentielle de l’attractivité et de l’image de marque d’une ville.

Pas d’aéroport pas de salut, en tout cas c’est encore la croyance bien installée dans certains territoires éloignés de Paris, dont la performance d’attractivité serait corrélée au temps de parcours pour se rendre dans la Capitale.

Sur le fond, ce n’est pas totalement faux. Et c’est vrai que quand on habite Perpignan, Rodez ou Aurillac, l’avion reste un « mode de transport nécessaire » tant le temps de parcours en train ou en voiture est rédhibitoire.

Donc on a maintenu des petits aéroports en activité, dans le cadre d’OSP qui permettent aux collectivités et à l’État de financer le déficit structurel de ces plateformes.

Du coup Ryanair s’est dit, bon ben si ces plateformes sont maintenues, pourquoi ne pas proposer des vols à vocation touristique… mais en faisant payer les exploitants de ces plateformes, et donc en demandant encore plus d’argent public pour faire vivre l’aéroport.

Financer des compagnies pour qu’elles se concurrencent ?

Ryanair est ainsi devenu le spécialiste de la mise en concurrence des villes moyennes et de leurs aéroports, mais une mise en concurrence sans appel d’offres, sans marché public.

Ryanair a inversé le principe même du marché public, et il faut reconnaitre que de ce point de vue, cette idée relève du génie. La question qui se pose au regard de cette pratique - qui devrait être condamnée - c’est pourquoi une telle duplicité de la part des collectivités ?

Au nom de quel principe, au nom quelle mission de service public, devrait-on financer des compagnies aériennes pour qu’elles se concurrencent entre elles ?

La réponse à ces questions reste donc toujours la même : au nom de l’attractivité !!! C’est donc au nom de l’attractivité que les collectivités financent Ryanair, et quand on démontre que la plupart des lignes low cost sont à vocation export, ça ne pose aucun problème.

Financer des lignes au départ de Dôle ou Clermont Ferrand pour aller à Porto ou Marrakech, on est bien d’accord que ce n’est pas pour développer le tourisme dans le Jura ou en Auvergne, mais ça passe crème. Pour ce qui est des lignes qui s’équilibrent entre export et import, l’argument de l’attractivité se renforce par celui des retombées économiques.

Je ne vais pas le contester, mais je n’ai jamais vu la SNCF venir demander des subventions aux collectivités quand elle ouvre une ligne TGV entre Barcelone et Toulouse, pour prendre un exemple récent, alors pourquoi Ryanair ? Et pourquoi ne jamais communiquer sur les montants des aides, ou les rapports entre export et import ?

60% des voyageurs auraient fait le voyage quand même...

L’argument des retombées économiques, tel que partagé par les boîtes qui font les enquêtes auprès des passagers, je le trouve un poil fallacieux. A l’évidence dans l’aérien, c’est l’offre qui fait la demande, et du jour au lendemain, des gens vont venir sur le territoire.

La question qu'il faut se poser, c’est "combien réellement ?", si l'on ne garde que les clientèles export, et surtout, "est-on sûr que ces clientèles ne seraient pas venues quand même ?"

Dans une des enquêtes réalisées par un cabinet spécialisé, on démontre que 60% des voyageurs affirment qu’ils auraient fait le voyage quand même. Il en reste certes 40%, mais si on ramène ce chiffre à la proportion des clientèles import, et si on prend en compte qu’un tiers des gens seraient arrivés par un autre aéroport en vrai, on perdrait quoi ? Entre 7 et 8% des voyageurs.

Il s’agit donc de relativiser les retombées économiques des compagnies low cost sur les petits aéroports régionaux, contrairement aux clientèles touristiques des grandes compagnies nationales. Les retombées sur le territoire entre des Belges qui atterrissent à Béziers et des Américains qui atterrissent à Nice n’ont rien à voir.

Dans le premier cas, une grande partie des clientèles import ne restera pas sur le territoire. Et s’il fallait le prouver, il suffit d’observer les données de fréquentation livrées par Flux Vision Orange par nationalité, pour prouver qu’une ouverture de ligne entre une petite ville de province française et une capitale européenne, ne fait que très peu bouger le niveau de fréquentation.

Et pour cause, les lignes low cost sont saisonnières (juin- septembre le plus souvent), et les hébergements sont déjà réservés par les clientèles… françaises.

Le montant des aides à Ryanair permettrait de financer des Pass rails pour tous les jeunes

Pendant que l’ADEME, et de plus en plus d’acteurs du tourisme alertent sur les mauvais résultats du secteur du tourisme en terme de bilan de gaz à effet de serre, en démontrant le poids du transport et, dans le poids du transports celui de l’aérien, on continue à financer le déficit de petits aéroports régionaux.

Des aéroports dont l’existence même est liée à la présence d’une compagnie qui fait payer les collectivités, pour que des gens prennent l’avion à des prix les bas plus bas possible, pour se changer les idées le week-end.

Il n’y a pas de tourisme sans mobilité, et une partie de cette mobilité est aérienne, c’est un fait. Il n’est pas contestable quand il s’agit de traverser les océans. Ce qui est contestable c’est de financer avec de l’argent public des routes aériennes qui ne sont pas indispensables au développement du tourisme.

Et c’est encore plus contestable sans marché public, et sans transparence sur les montants accordés et sur le profil des bénéficiaires. Le montant des aides accordées en France à Ryanair est énorme, et permettrait de financer des Pass rails pour tous les jeunes.

Faire bouger les jeunes, en leur offrant un Pass rail, c’est une approche de l’attractivité et c’est une autre vision stratégique pour développer le tourisme dans nos territoires.

Jean Pinard - Mini Bio

Jean Pinard - DR
Jean Pinard - DR
Président de la société de conseil Futourism :

Forestier et géographe de formation, Jean Pinard a toujours travaillé dans le secteur des sports et du tourisme. Moniteur de kayak, chauffeur de bus, guide, gestionnaire de sites touristiques, directeur de CDT et de CRT (Auvergne et Occitanie), Jean Pinard est redevenu consultant, son premier métier à la SCET, à la fin de ses études.

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Tags : jean pinard
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