TourMaG - Vous prônez la décroissance de l'économie mais avant de rentrer dans le vif du sujet, quel regard, portez-vous sur l'activité touristique consistant à faire voyager des gens à l’étranger et souvent… loin ?
Timothée Parrique :Le tourisme représente 8 % des émissions globales, c’est énorme !
C’est aussi un secteur avec de grandes inégalités : seulement quelques pour cents des personnes à l’échelle de la planète prennent l’avion, avec des émissions fortement concentrées sur les personnes les plus riches, qui prennent plusieurs fois par an l’avion.
Le tourisme fast and far est le privilège d’une poignée de super-riches qui dilapident un budget carbone global que l’on devrait partager de manière équitable, avec la plus grande partie accordée aux pays les plus pauvres qui en auront besoin pour se développer.
Dans quelques décennies, on considèrera sûrement la publicité incitant à ce genre d’activité aussi moralement répréhensible (si ce n’est plus) que celles pour l’alcool et la cigarette.
Timothée Parrique :Le tourisme représente 8 % des émissions globales, c’est énorme !
C’est aussi un secteur avec de grandes inégalités : seulement quelques pour cents des personnes à l’échelle de la planète prennent l’avion, avec des émissions fortement concentrées sur les personnes les plus riches, qui prennent plusieurs fois par an l’avion.
Le tourisme fast and far est le privilège d’une poignée de super-riches qui dilapident un budget carbone global que l’on devrait partager de manière équitable, avec la plus grande partie accordée aux pays les plus pauvres qui en auront besoin pour se développer.
Dans quelques décennies, on considèrera sûrement la publicité incitant à ce genre d’activité aussi moralement répréhensible (si ce n’est plus) que celles pour l’alcool et la cigarette.
"La décroissance est une réduction de la production pour alléger l’empreinte écologique"
TourMaG - Vous êtes un économiste, mais d’un nouveau genre puisque vous prônez la décroissance, dans la lignée de Meadows. Vous faites donc partie de la caste des Amish selon Emmanuel Macron. En quoi, être un amish en 2023 et dans la prochaine décennie est-ce important pour le monde ?
Timothée Parrique : Ceux qui assimilent la décroissance aux Amish, ne connaissent ni l’une ni l’autre.
La décroissance est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.
Dans la situation qui est la nôtre - un effondrement environnemental qui vient mettre à mal l’habitabilité de notre planète - la décroissance est une stratégie d’adaptation incontournable pour les économies des pays riches qui n’arriveront pas à temps ni même à verdir leurs niveaux de production et de consommation.
TourMaG - L’Europe pourrait connaître une croissance de 0,5% en 2023. La récession touchera alors les plus importants pays de l’Union. Finalement le monde de l’après-Covid, est-il celui pour lequel vous militez ?
Timothée Parrique : La récession est l’accident d’une économie de croissance qui n’arrive plus à croître.
C’est l’amputation dans la douleur et la précipitation.
La décroissance est plus proche d’un régime organisé : un ralentissement de certaines productions et de certaines consommations dans l’esprit de la justice sociale et dans le souci du bien-être, c’est-à-dire planifiées d’une manière aussi équitable et conviviale que possible.
Timothée Parrique : Ceux qui assimilent la décroissance aux Amish, ne connaissent ni l’une ni l’autre.
La décroissance est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.
Dans la situation qui est la nôtre - un effondrement environnemental qui vient mettre à mal l’habitabilité de notre planète - la décroissance est une stratégie d’adaptation incontournable pour les économies des pays riches qui n’arriveront pas à temps ni même à verdir leurs niveaux de production et de consommation.
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Timothée Parrique : La récession est l’accident d’une économie de croissance qui n’arrive plus à croître.
C’est l’amputation dans la douleur et la précipitation.
La décroissance est plus proche d’un régime organisé : un ralentissement de certaines productions et de certaines consommations dans l’esprit de la justice sociale et dans le souci du bien-être, c’est-à-dire planifiées d’une manière aussi équitable et conviviale que possible.
"Fini les pubs stupides qui réduisent notre notion de voyage aux cocotiers polynésiens"
TourMaG - Qu’est-ce qu’implique la décroissance dans notre conception du voyage et du monde actuel ?
Timothée Parrique : D’abord : moins de kilomètres et moins de kilomètres par heure.
Nous devons voyager moins loin et plus lentement. Je pense à des concepts comme le « slow travel » qui prône une expérience du voyage non seulement plus responsable écologiquement, mais aussi plus riche socialement. Fini les pubs stupides qui réduisent notre notion de voyage aux cocotiers polynésiens.
Ça me rappelle la campagne de communication « le dépaysement près de chez vous » qui vantait l’eau turquoise des Caraibzh bretons !
Contre l’expérience du blockbuster américain regardé dans l’avion pour aller dans une chaîne d’hôtel all-inclusive, privilégions les trains de nuit et les hôtels coopératifs.
Marcel Proust écrivait que « le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ».
Passons d’une philosophie du voyage obnubilée par l’amassement de photos de paysage, un tourisme de la quantité, à un tourisme de la qualité, selon les principes de la sobriété heureuse.
TourMaG - La décroissance signifie-t-elle la fin du capitalisme ?
Timothée Parrique : Oui. Le capitalisme est un système où la production est organisée de manière spécifique afin de maximiser la plus-value monétaire, la fameuse accumulation du capital, sur la base de la propriété privée des moyens de production et du salariat.
C’est donc un système qui ne peut pas décroître sans générer des crises.
Si l’on veut sortir de la croissance, il faudra donc nécessairement sortir du capitalisme, c’est-à-dire réduire l’importance sociale des institutions qui le composent : le salariat, les marchandises et les marchés, la propriété privée des moyens de production, et l’entreprise à but lucratif.
Timothée Parrique : D’abord : moins de kilomètres et moins de kilomètres par heure.
Nous devons voyager moins loin et plus lentement. Je pense à des concepts comme le « slow travel » qui prône une expérience du voyage non seulement plus responsable écologiquement, mais aussi plus riche socialement. Fini les pubs stupides qui réduisent notre notion de voyage aux cocotiers polynésiens.
Ça me rappelle la campagne de communication « le dépaysement près de chez vous » qui vantait l’eau turquoise des Caraibzh bretons !
Contre l’expérience du blockbuster américain regardé dans l’avion pour aller dans une chaîne d’hôtel all-inclusive, privilégions les trains de nuit et les hôtels coopératifs.
Marcel Proust écrivait que « le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ».
Passons d’une philosophie du voyage obnubilée par l’amassement de photos de paysage, un tourisme de la quantité, à un tourisme de la qualité, selon les principes de la sobriété heureuse.
TourMaG - La décroissance signifie-t-elle la fin du capitalisme ?
Timothée Parrique : Oui. Le capitalisme est un système où la production est organisée de manière spécifique afin de maximiser la plus-value monétaire, la fameuse accumulation du capital, sur la base de la propriété privée des moyens de production et du salariat.
C’est donc un système qui ne peut pas décroître sans générer des crises.
Si l’on veut sortir de la croissance, il faudra donc nécessairement sortir du capitalisme, c’est-à-dire réduire l’importance sociale des institutions qui le composent : le salariat, les marchandises et les marchés, la propriété privée des moyens de production, et l’entreprise à but lucratif.
"Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable"
TourMaG - Dans votre livre, vous dites : « Entre produire plus, et polluer moins, il va falloir choisir. Choix facile car une économie peut tout à fait prospérer sans croissance, à condition de repenser complètement son organisation. » Que faut-il repenser en premier ?
Timothée Parrique : La façon dont on mesure la richesse.
Aujourd’hui on s’obstine à amasser des points de Produit Intérieur Brut (PIB) alors que cet indicateur fait abstraction des choses les plus essentielles, à commencer par la nature.
Orienter une transition sociale et écologique en fonction du PIB serait aussi absurde que d’évaluer une séance de yoga avec un podomètre. Débarrassons-nous de ce logiciel obsolète pour repenser l’économie à partir de l’écologique et du social, et non le contraire.
TourMaG - En quoi la croissance verte qui nous est vendue par le Gouvernement et l’Europe est-elle une utopie ?
Timothée Parrique : Parce qu’aucune expérience historique, en France et ailleurs, n’a réussi à montrer qu’il serait possible de découpler la croissance économique de toutes les pressions qu’elle a sur la nature.
La croissance verte est une hypothèse toute droite sortie de modèles économiques simplistes, basés sur des observations parcellaires.
En l’état actuel des connaissances, c’est un pari extrêmement risqué pour faire face à une problématique écologique aussi dangereuse, urgente, et incertaine.
TourMaG - Est-ce que tourisme et durable sont compatibles ? Le tourisme implique toujours le déplacement ?
Timothée Parrique : La soutenabilité est une question de proportion. Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable, car il finira toujours par dépasser les capacités de charge (limitées) des écosystèmes.
Même logique d’ailleurs pour la croissance de toute autre activité économique.
Comme disait l’économiste américain Kenneth Boulding : pas de croissance infinie dans un monde fini ! Il faut repenser un tourisme plus lent, un tourisme de proximité, et un accès au tourisme beaucoup plus équitable qu’aujourd’hui, où seuls les plus riches peuvent voyager.
Timothée Parrique : La façon dont on mesure la richesse.
Aujourd’hui on s’obstine à amasser des points de Produit Intérieur Brut (PIB) alors que cet indicateur fait abstraction des choses les plus essentielles, à commencer par la nature.
Orienter une transition sociale et écologique en fonction du PIB serait aussi absurde que d’évaluer une séance de yoga avec un podomètre. Débarrassons-nous de ce logiciel obsolète pour repenser l’économie à partir de l’écologique et du social, et non le contraire.
TourMaG - En quoi la croissance verte qui nous est vendue par le Gouvernement et l’Europe est-elle une utopie ?
Timothée Parrique : Parce qu’aucune expérience historique, en France et ailleurs, n’a réussi à montrer qu’il serait possible de découpler la croissance économique de toutes les pressions qu’elle a sur la nature.
La croissance verte est une hypothèse toute droite sortie de modèles économiques simplistes, basés sur des observations parcellaires.
En l’état actuel des connaissances, c’est un pari extrêmement risqué pour faire face à une problématique écologique aussi dangereuse, urgente, et incertaine.
TourMaG - Est-ce que tourisme et durable sont compatibles ? Le tourisme implique toujours le déplacement ?
Timothée Parrique : La soutenabilité est une question de proportion. Un tourisme de masse en croissance ne sera jamais durable, car il finira toujours par dépasser les capacités de charge (limitées) des écosystèmes.
Même logique d’ailleurs pour la croissance de toute autre activité économique.
Comme disait l’économiste américain Kenneth Boulding : pas de croissance infinie dans un monde fini ! Il faut repenser un tourisme plus lent, un tourisme de proximité, et un accès au tourisme beaucoup plus équitable qu’aujourd’hui, où seuls les plus riches peuvent voyager.
"Il faut inventer des futurs désirables au-delà d’un capitalisme obsédé par les profits"
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TourMaG - L’Europe vient de mettre en place des quotas carbone dans l’aérien. Les compagnies vont devoir payer pour continuer de polluer et auront des remises si elles utilisent des carburants non-polluants. Ne faut-il pas mettre en place une double comptabilité dans l’économie dont une verte qui sanctionnera les économies des pollueurs ?
Timothée Parrique : Oui, il faudrait.
Et attention, la comptabilité « verte » ne devrait pas se faire en parallèle à la comptabilité classique.
Il faudrait plutôt réencastrer le financier dans l’écologique. Quel que soit la lucrativité d’une activité de production, celle-ci ne devrait pas pouvoir être entreprise si elle se fait en dépassement d’un certain budget écologique.
L’écologie délimite la possibilité du social, qui délimite la possibilité de l’économique – et pas le contraire. L’argent est une construction sociale ; les écosystèmes, non.
TourMaG - Pour aller vers une société plus sobre, ne devons-nous pas revoir par l’écriture de nos imaginaires ? Et combien de temps durera cette transition d’un capitalisme effréné à la décroissance ?
Timothée Parrique : Oui, il faudrait à la fois « sortir de la croissance » (Éloi Laurent), se débarrasser de la « mystique de la croissance » (Dominique Méda), « décoloniser l’imaginaire de la croissance » (Serge Latouche).
Il faut se débarrasser d’un paquet de prêt-à-penser économiques qui sont devenus des obstacles imaginaires : la nécessité d’une croissance constante du PIB, le découplage, l’égoïsme de la nature humaine, la lucrativité comme raison d’être de l’entreprise, etc..
Deuxième étape : il faut inventer des futurs désirables au-delà de l’extractivisme de notre économie linéaire, du productivisme aveugle d’un capitalisme obsédé par les profits, d’une société omnimarchandisée où pouvoir d’achat devient pouvoir tout court. Nous avons besoin d’éduquer notre désir pour des alternatives au capitalisme d’aujourd’hui.
Timothée Parrique : Oui, il faudrait.
Et attention, la comptabilité « verte » ne devrait pas se faire en parallèle à la comptabilité classique.
Il faudrait plutôt réencastrer le financier dans l’écologique. Quel que soit la lucrativité d’une activité de production, celle-ci ne devrait pas pouvoir être entreprise si elle se fait en dépassement d’un certain budget écologique.
L’écologie délimite la possibilité du social, qui délimite la possibilité de l’économique – et pas le contraire. L’argent est une construction sociale ; les écosystèmes, non.
TourMaG - Pour aller vers une société plus sobre, ne devons-nous pas revoir par l’écriture de nos imaginaires ? Et combien de temps durera cette transition d’un capitalisme effréné à la décroissance ?
Timothée Parrique : Oui, il faudrait à la fois « sortir de la croissance » (Éloi Laurent), se débarrasser de la « mystique de la croissance » (Dominique Méda), « décoloniser l’imaginaire de la croissance » (Serge Latouche).
Il faut se débarrasser d’un paquet de prêt-à-penser économiques qui sont devenus des obstacles imaginaires : la nécessité d’une croissance constante du PIB, le découplage, l’égoïsme de la nature humaine, la lucrativité comme raison d’être de l’entreprise, etc..
Deuxième étape : il faut inventer des futurs désirables au-delà de l’extractivisme de notre économie linéaire, du productivisme aveugle d’un capitalisme obsédé par les profits, d’une société omnimarchandisée où pouvoir d’achat devient pouvoir tout court. Nous avons besoin d’éduquer notre désir pour des alternatives au capitalisme d’aujourd’hui.